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Reconstruire en mieux : Renforcer l’égalité de genres au sein du personnel de santé canadien après la COVID-19

Reconstruire en mieux : Renforcer l’égalité de genres au sein du personnel de santé canadien après la COVID-19
2 septembre 2020

Women in Global Health Canada

Par Beverley M. Essue and Felicia Marie Knaul​                                                                                                                                                    

 

Résumé

La pandémie de COVID-19 a réaffirmé le rôle essentiel des femmes dans le domaine de la santé et des soins sociaux dans le monde. Dans la plupart des pays, y compris le Canada, les femmes portent le fardeau de la pandémie dans leur travail en tant que prestataires de soins de santé et les effets de cette crise amplifient et exposent les inégalités sociales d’une manière sans précédent. La présentation des Nations Unies sur l’impact de la COVID-19 sur les femmes confirme le fait que les femmes constituent l’épine dorsale de la réponse et souligne la grave menace que la pandémie pose en enracinant les inégalités de genre préexistantes dans les sociétés et les nations.

Les réponses mises en œuvre par les gouvernements pour lutter contre les retombées économiques et sociales de la pandémie de COVID-19 ont le potentiel de jeter les bases de réformes transformatrices en matière de genre qui valoriseront mieux les femmes dans leurs rôles de soutien et de promotion de la santé. Pour y parvenir, l’ONU a appelé à ce que les femmes, leur inclusion, leur représentation, leurs droits, leurs résultats sociaux et économiques, leur égalité et leur protection, soient au centre des réponses politiques. Quatre recommandations sont présentées, permettant de placer les femmes au centre de la réponse au Canada et de, collectivement, contribuer à renforcer l’égalité de genres et à assurer des économies de la santé et des soins plus équitables, justes et durables ainsi qu’une société plus juste.

Mots clés : COVID-19, femmes, prestation de soins, égalité de genres

 

Les dommages collatéraux causés aux femmes par la COVID-19 menacent l’égalité de genres et pourraient anéantir des décennies de progrès 1,2. Dans la plupart des pays, y compris le Canada, les femmes portent le fardeau de la crise à la maison et au travail. Les Nations Unies ont dénoncé la grave menace que représente la pandémie de COVID-19 étant donné qu’elle enracine les inégalités de genres préexistantes, exposant et amplifiant les inégalités sociales existantes d’une manière sans précédent3. Dans le même temps, la pandémie a donné un coup de projecteur indispensable sur l’immense valeur sociale et économique du travail effectué par les professionnels de la santé et les soignants rémunérés et non rémunérés et a confirmé le rôle crucial des femmes en ce qui concerne les soins de santé et les soins sociaux.

Comme l’a montré la Commission Lancet sur les femmes et la santé, les femmes constituent la majorité des prestataires de soins de santé rémunérés et non rémunérés dans le monde, ce qui est estimé de manière prudente à plus de 5% du PIB mondial4. Les femmes font partie intégrante de la réponse à la COVID-19, travaillant en première ligne comme la majorité des professionnels de la santé, du personnel des établissements de santé et du personnel de soins en résidence, ainsi que derrière les portes closes de leur domicile en tant que soignantes essentielles5. La situation dans les pays à revenu faible et intermédiaire sera bien pire, car le manque de lits d’hôpitaux signifie que de nombreux patients atteints de la COVID-19 mourront à domicile, largement pris en charge par des femmes et des filles qui subiront les effets d’une exposition prolongée et non protégée à la maladie6.

De plus, les soignants des personnes âgées et fragiles et des patients atteints de maladies non liées à la COVID ont dû assumer des responsabilités de soins supplémentaires et appliquer des procédures plus compliquées à domicile en raison de l’isolement des médecins et des équipes de soins de soutien habituelles. Les exigences en matière de quarantaine et de distanciation physique ont requis que la prestation de soins soit additionnée à l’emploi, à la garde des enfants et à l’éducation des enfants en plus des autres tâches ménagères.

Les femmes au Canada sont fortement impliquées dans le secteur de la santé : en 2018, les femmes représentaient 82% de tous les travailleurs de la santé, comparativement à seulement 61% de la main-d’œuvre totale7. Leur implication dans le travail lié à la santé est essentielle à la protection de la santé de la population et de la viabilité du système de santé. Sur la base de méthodes développées pour la Commission Lancet sur les femmes et la santé, nous avons estimé que la contribution des femmes à la santé et au secteur de la santé au Canada se situait entre 6,2% et 7,2% du produit intérieur brut en 2019. On estime que 35% du travail qu’accomplissent les femmes canadiennes pour contribuer au soutien et à la promotion de la santé n’est pas rémunéré.

La COVID-19 présente des opportunités pour améliorer l’égalité de genres dans les soins de santé et la prestation de soins

Les racines de l’inégalité et de la discrimination fondées sur les rôles traditionnels de genre créent des réalités complexes pour les femmes. Cela a invariablement un impact sur la manière dont leur travail est reconnu, sur la manière dont elles sont rémunérées par rapport à des hommes également qualifiés et sur leurs possibilités de bénéficier d’opportunités d’avancement professionnel. Il nous revient d’écouter et de répondre à l’appel de l’ONU pour garantir que les femmes, leur inclusion, leur représentation, leurs droits, leurs résultats sociaux et économiques, leur égalité et leur protection, soient au centre des réponses politiques à la COVID-193.

Quatre recommandations sont présentées ci-dessus, permettant de placer les femmes au centre de la réponse au Canada et de, collectivement, contribuer à renforcer l’égalité de genres et à assurer des économies de la santé et des soins plus équitables, justes et durables ainsi qu’une société plus juste. Les leçons seront transférables à d’autres pays à revenu élevé ou plus faible.

     1.     Politiques de protection du travail ciblées et sensibles au genre pour défendre et soutenir le personnel soignant rémunéré

La pandémie a déclenché des discussions sur la nature essentielle des soins aux aînés et des services de garde d’enfants au Canada et dans le monde. Étant insuffisamment financés, les établissements de soins sont rares et inégalement répartis à travers le pays. Les interruptions de paie et les mises à pied du personnel en raison des fermetures dues à la COVID-19 ont aggravé cette réalité. Au Canada, le Québec a pris des mesures proactives en annonçant que 400 garderies prendront gratuitement en charge 60 000 enfants de prestataires de soins de santé et autres travailleurs essentiels8. Des engagements similaires à travers le pays seraient d’une valeur inestimable pour promouvoir une participation égale des femmes au travail dans le domaine de la santé. Au sortir de cette pandémie, les soins aux enfants et aux personnes âgées devraient être déclarés comme des services essentiels.

     2.     Politiques proactives de lieu de travail tenant en compte les rôles complexes que jouent les femmes

Les exigences de quarantaine et de distanciation physique imposées pendant la crise de COVID-19 ont forcé toutes les économies à passer rapidement à de nouveaux modes de travail. Dans la mesure du possible, les aménagements qui ont été faits pour aider les employés à travailler à domicile devraient être maintenus comme modèles inscrits dans les politiques de lieu de travail. Des formules de travail flexibles sont nécessaires pour mieux tenir compte des rôles complexes que les employés, en particulier les femmes, exercent pour concilier les responsabilités liées à l’emploi et à la prestation de soins. Des politiques proactives sur le lieu de travail peuvent également protéger les employeurs contre l’absentéisme des soignants et les coûts de roulement et favoriser le bien-être des employés. Offrir des opportunités d’horaires flexibles, de télétravail, de partage de travail, de semaines de travail comprimées, de jours de congé personnels, de banques de congé et de lieux de travail flexibles permettra de combler les écarts entre les besoins des employés et les attentes des employeurs.

Les entreprises devraient réinterpréter les politiques visant l’équité entre les genres sur le lieu de travail, car des congés insuffisants peuvent entraîner de mauvaises performances sur le lieu de travail et des difficultés à gérer les responsabilités familiales. Les employeurs doivent concevoir des lieux de travail plus flexibles qui tiennent compte des responsabilités de soins et offrent un meilleur accès aux congés payés et aux avantages sociaux, y compris l’extension des droits aux congés et aux avantages sociaux aux travailleurs à temps partiel et à salaire plus bas, dont plusieurs sont des femmes.

     3.     Accélérer les stratégies pour garantir que les femmes accèdent à des rôles de leadership dans les secteurs de la santé

L’élaboration et le maintien de réformes transformatrices en matière de genre exigent que les femmes fassent partie intégrante et égale de toutes les structures de prise de décision et de leadership. Des stratégies ciblées et significatives sont nécessaires non seulement pour attirer les talents féminins sur le marché du travail, mais également pour créer des canaux et une planification de la relève ciblée afin que les femmes aient le mentorat et la formation nécessaires à des postes de direction au sein des organisations, y compris au niveau de la haute direction, à des postes de PDG et en tant que membres de conseil. Les avantages de la parité dans le leadership mènent à une plus grande innovation et une meilleure performance organisationnelle globale9-11.

En outre, les analyses des réponses nationales à la COVID-19 indiquent des différences marquées dans les styles de leadership entre les nations avec des femmes cheffes d’État et celles avec des hommes chefs d’État, l’expérience de la Nouvelle-Zélande sous la direction de la Première ministre Jacinda Ardern se démarquant comme un modèle pour toutes les autres nations. L’avantage du leadership féminin, un style de leadership plus inclusif, réfléchi et empathique, est supposé comme étant associé à de meilleurs résultats en situation de pandémie12.

De même, en concevant consciemment les politiques d’embauche et de gestion dans les secteurs de la santé et des soins en tenant compte de l’inclusion et de la diversité, il est plus facile pour les femmes d’équilibrer les objectifs professionnels et la prestation de soins. En fin de compte, avec ces changements intentionnels de culture de travail, les employeurs verront plus d’employés productifs menant à des sociétés plus productives et plus saines.

     4.     Assurer et étendre la couverture sanitaire universelle pour de meilleurs résultats en matière de santé chez les femmes

Les ressources qui ont été mobilisées pour faire face à la crise de COVID-19 ont de graves implications pour le financement futur de la santé ainsi que pour la durabilité des systèmes de santé. Il sera important de veiller à ce qu’une perspective sexospécifique soit utilisée pour soutenir la planification future de la restauration des services de santé ainsi que l’établissement de priorités sur la façon de gérer les arriérés et listes d’attente s’accumulant en raison des interruptions de service liées à la COVID. Par ailleurs, il est nécessaire de garantir un engagement et un investissement continus dans la santé des femmes ainsi que dans les programmes et services qui soutiennent la santé des femmes et des filles.

Aussi, les femmes sont moins nombreuses à bénéficier des avantages sociaux de leurs employeurs comparés aux hommes. Le chômage et les situations d’emploi précaire courantes chez les femmes soignantes aggravent cette réalité. L’amélioration de l’accès des femmes aux services de santé essentiels, en particulier pour les femmes vulnérables en raison de désavantages sociaux, est nécessaire pour améliorer les résultats en santé des femmes, ce qui aboutira à terme à une plus grande participation économique des femmes. Cela est primordial dans les pays à revenu élevé comme dans ceux à revenu faible ou intermédiaire.

Conclusion

Les décisions prises au cours de la réponse à la COVID-19 et de la relance seront essentielles puisqu’elles serviront de précédent pour toutes les crises futures de cette ampleur et peuvent marquer un changement positif menant à l’égalité de genres. Les recommandations que nous formulons identifient les principales opportunités permettant de jeter les bases de réformes transformatrices en matière de genre afin de mieux valoriser et soutenir les femmes, ce qui aidera par la suite les femmes et les hommes à atteindre leurs pleines capacités et ainsi améliorer leur participation au sein du personnel de santé et dans leurs maisons et communautés. Ces recommandations devraient être employées non seulement au Canada, mais dans tous les pays pour mieux soutenir les femmes et la prestation de soins au-delà de la crise de COVID-19.

 

Remerciements

Le financement de cette recherche a été fourni par une subvention de recherche de Merck KGaA pour un projet mesurant la valeur économique des contributions rémunérées et non rémunérées des femmes au secteur de la santé au Chili, au Canada et en Chine, dans le cadre d’une initiative mondiale intitulée Healthy Women, Healthy Economies.

Les auteurs reconnaissent également avec gratitude les généreuses contributions de l’équipe de Women in Global Health-Canada qui a soutenu l’inclusion et la promotion de ce document dans la série « Reconstruire en mieux ». L’équipe Women in Global Health-Canada comprend : des coordonnatrices (Dre Bev Johnson et Eva Slawecki), des éditrices (Barbara Astle et Djenana Jalovcic) et la responsable du plaidoyer (Zeba Khan).

 

 

Les auteurs

Beverley M. Essue, Économiste principale de la santé, Université de Miami; Université de Toronto.
Felicia Marie Knaul​, Directrice et professeure, Université de Miami.

 

 



References

1. Linde A and Laya AG. 2020. What the COVID-19 pandemic tells us about gender equality. The World Economic Forum. May 9th 2020. https://www.weforum.org/covid-action-platform/articles/what-the-covid-19-pandemic-tells-us-about-gender-equality (accessed: 20 May 2020)
2. Wright T. 2020. Broader gender focus needed for COVID-19 response in Canada, advocates say. The Toronto Star. April 10th 2020. https://www.thestar.com/news/canada/2020/04/10/broader-gender-focus-needed-for-covid-19-response-in-canada-advocates-say.html (accessed. 25 May 2020).
3. United Nations. Policy Brief: The Impact of COVID-19 on Women. UN: New York. April 9th 2020. https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2020/policy-brief-the-impact-of-covid-19-on-women-en.pdf?la=en&vs=1406 (accessed: 20 May 2020)
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6. Radbrunch L.  et al. The key role of palliative care in response to the COVID-19 tsunami of suffering. The Lancet 395(10235): 1467-1469
7. Bourgeault, I. (2018). Women's work across every aspect of healthcare is largely invisible. Retrieved from http://evidencenetwork.ca/womens-work-across-every-aspect-of-healthcare-...
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9. Kemp L. 2020. Having women in leadership roles is more important than ever, here's why. World Economic Forum. March 3rd 2020. https://www.weforum.org/agenda/2020/03/more-women-in-leadership-shouldnt-matter-but-it-really-does/ (accessed: 20 May 2020).
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11. Eagly AH and Carli LL. 2003. The female leadership advantage: An evaluation of the evidence, The Leadership Quarterly. 14(6):807-834
12. Taub A. Why Are Women-Led Nations Doing Better With Covid-19? The New York Times. May 15th 2020. https://www.nytimes.com/2020/05/15/world/coronavirus-women-leaders.html (accessed: 20 May 2020).